L’île de Nadiland dans les Caraïbes, ressemble sous bien des aspects à la Martinique où est né [**Raphaël Confiant*], qui, dans la construction de son œuvre, se fait le barde, l’aède de ce minuscule coin de terre. Dans ce nouveau livre, il se penche, d’une façon on ne peut plus originale, mais oh combien réaliste, sur les problèmes de corruption qui rongent ces territoires, qui gangrènent leur tissu social.
D’un côté, Julien Valmont, alias le Défenestrateur, Gros Dégueulasse, Ticoca, DSKahnard, Nain de Jardin, Pokémon, etc., directeur de l’institut de stratégie économique régional, du laboratoire de recherche Filmaneg et d’autres instituts dépendant de l’université Alma Mater franco-caribéenne. Avec ses deux comparses, il fait la pluie et le beau temps non seulement au sein de l’université,mais aussi dans tout Nadiland. Il se sent invulnérable car, il a confiance à la « fraternité » des francs maçons (il a quelque responsabilité dans une loge parisienne). Il jette son épouse par la fenêtre, l’inspecteur Nobertin qui se montre trop curieux est muté à Paris. Valmont a une certaine renommée internationale dans le domaine de l’économie, mais il ne publie jamais rien sous son seul nom (il ne fait que co-signer le travail des autres). Son plus grand travail est le détournement de fonds européens ou de la francophonie tout en s’affranchissant de toute idée de règles comptables. Avec cet argent, il corrompt son entourage, mais aussi ses collègues professeurs d’économie du monde entier. Accessoirement, il investie dans des bateaux de pêche. Pour lui, il est normal de frauder, les blancs ont fait de gros bénéfices au temps de la colonisation, c’est normal que maintenant ils paient. Et puis les 12 millions d’euros qu’on finit par lui reprocher d’avoir détournés, ne sont rien, une minuscule goutte d’eau au regard du budget européen.
Mais, ayant baissé la garde, étant certain de son immunité, il rentre en conflit avec la nouvelle présidente de l’université, « la Reine d’Abyssinie » qui veut lutter contre la corruption avec sa « garde rapprochée », le Juriste, le P’tit Mégalo frétillant, la Blondasse gymnique, la Féministe de seconde zone et quelques autres dont le Barbouilleur de papier qui répond à toutes les attaques dans son blog.
La lutte est féroce entre les deux clans, les insultes fusent, mais malgré tous ses soutiens (qui diminuent en proportions inverses avec les révélations de ses turpitudes, Valmont est acculé, la police, patiemment, démonte tout le système de corruption et de détournement qu’il a mis en place. Aussi ce dernier décide de faire kidnapper la présidente lors du mardi gras. L’enquête est confiée à Nobertin qui vient d’être nommé commissaire dans son île natale.
Dans ce nouveau roman, Raphaël Confiant décrit sans concession la corruption latente qui règne dans les territoires français d’outre mer. Corruption, détournements de fond, menaces, tout cela mâtiné de lutte politique pour le pouvoir sont en toile de fond de [**L’enlèvement du mardi gras*].
Que dire de plus, si ce n’est pour saluer une nouvelle fois le style, le talent de [**Raphaël Confiant*] qui arrive parfaitement à nous restituer la chaleur, les couleurs, l’exubérance mais aussi sa face cachée, violente, glauque de son île natale. Une écriture riche, brillante, un roman bâti avec des allers-retours continuels qui tiennent le lecteur en haleine.
Un grand Raphaël Confiant, certainement le plus grand auteur vivant de Martinique. Aimée Césaire peut reposer en paix, la relève est assurée.
Émile Cougut
L’enlèvement du mardi gras
Raphaël Confiant
éditions Écriture. 20€