Adèle et la pacotilleuse, roman du Martiniquais Raphaël Confiant (Folio, Mercure de France, 2005) raconte l’improbable relation entre une « négresse » vendeuse de pacotilles et Adèle Hugo, la fille du poète.
Dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, les pacotilleuses, étaient des commerçantes qui allaient d’une île des Caraïbes à l’autre, achetant ici des marchandises pour les revendre ailleurs. Elles formaient une sorte de confrérie, tentant de se protéger les unes les autres des vols et viols perpétrés par des marins ivres et brutaux. Elles parlaient français, espagnol, anglais, hollandais et même danois, mais leur vraie langue vernaculaire était le créole. Elles avaient un amant dans chaque port et bien souvent des enfants à la garde de familles locales.
« La nuit en mer est considérablement plus belle qu’à terre. Belle est d’ailleurs bien trop faible pour la décrire. Il faudrait dire somptueuse. Les pacotilleuses sont fiancées à la nuit, de tout temps. C’est pourquoi, au grand jour, elles ont une démarche somnambulique (…) A la nuit et à la mer se lie, insensiblement, inexorablement, le charme de la mort. On la sent là, toute proche, présente, cachée à l’en-bas des flots ou bien voletant dans les airs, invisible mais bien réelle. Et c’est ainsi que nous l’apprivoisons. A chacun de nos déplacements, nous apprenons à mieux la connaître. Nous palpons sa solitude immense, l’envie qui l’habite de se conjuguer à la vie, à nos vies. »
Céline Alvarez Bàà appartient à la confrérie des pacotilleuses. Sa double hérédité, andalouse et africaine, son goût immodéré pour la poésie et sa stérilité la rendent pourtant distincte. Un jour, dans une rue de Bidgetown brûlante du soleil de midi, elle avise une jeune femme « haillonneuse, maigre jusqu’à l’os, tremblotante des lèvres et des mains », objet des quolibets des passants, curieusement vêtue d’une robe de mariée rapiécée. La folle de Bridgetown prétend être Adèle Hugo. Elle dit avoir quitté l’Europe pour suivre son mari, l’officier britannique Albert Pinson, d’abord au Canada et maintenant à la Barbade. Mais, muté dit-on en Birmanie, Pinson n’est qu’un mythe.
Céline voit dans cette jeune femme belle et, dans ses moments de lucidité, vive et cultivée, la fille qu’elle n’a jamais pu avoir. Adèle appelle Céline « maman » ; elle est la seule qui puisse faire revenir sa sérénité lorsque, la nuit venue, leurs corps moites sont enlacés.
La « négresse » ramène sa fille en France à Victor Hugo, Elle ne tarde pas devenir l’une de ses proies sexuelles. Revenue à son métier de pacotilleuse après une aventure épique avec un hobereau retourné en Haïti prendre possession du domaine familial, elle acceptera de faire de nouveau de voyage de Paris, mais la psychose d’Adèle est au-delà du réparable et le patriarche se résout à la faire interner dans un asile de fous.
« Adèle et la pacotilleuse » met en scène deux femmes excessives dans leur humanité, l’une par l’excès des périls encourus, l’autre par l’excès d’un amour mystique et impossible. Le roman constitue aussi un passionnant témoignage sur le choc des cultures aux Antilles il y a un siècle et demi.