En voyage avec Raphaël Confiant

Intro

Ecrivain reconnu tant en créole qu’en français et cofondateur avec Jean Bernabé et Patrick Chamoiseau du Mouvement de la créolité, Raphaël Confiant est actuellement professeur des universités à l’Université des Antilles. Figure majeure de la littérature martiniquaise, il a écrit plus d’une soixantaine de livres qui lui ont valu plusieurs prix.

Texte

Biographie de Raphaël Confiant

  • 1951 : Naissance au Lorrain(Martinique)
  • 1973 : Création du GEREC (Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créole)
  • 1985 : Parution du premier ropman en créole BITAKO-A (éditions du GEREC)
  • 1989 : Fondation du mouvement littéraire dit « de la créolité » avec Jean Bernabé et Patrick Chamoiseau
  • 2013 : Doyen de la faculté des lettres et science humaines à l’Université des Antilles et de la Guyane

Il est aussi connu pour son engagement et son militantisme sur les plans politique, écologique et associatif. De ses voyages, il garde des images et des mots inspirant un contexte à ses œuvres. Entretien.

Considérez-vous le voyage comme un passage vers une autre réalité ou tout simplement comme une évasion ?

Raphaël Confiant. Avant tout, c’est la découverte de l’autre, l’autre qui nous enrichit, qui nous fait sortir de notre quotidien avec sa propre vision du monde. Chaque fois que l’occasion m’est donnée de voyager, la perspective de la simple découverte d’un univers différent de ma quotidienneté m’enchante. On m’invite régulièrement dans des festivals littéraires ou à des conférences dans des contrées éloignées et, mon temps étant trop souvent compté, j’essaie de retenir un maximum de sensations de l’endroit mais j’en repars rarement rassasié.

En voyage, vous arrive-t-il d’écrire ?

RC. Jamais ! Entièrement happé par le pays et focalisé sur les gens, je m’empresse de déposer ma valise avec une envie tenaillante d’aller musarder. Car pour voyager vraiment, rien de tel que de s’écarter des sentiers battus, de se montrer curieux, voire de se perdre au milieu des autres. Donc non, l’écriture ne fait pas partie de mes voyages. En revanche, le ressenti que génèrent un pays et ses occupants m’influence énormément pour conférer une atmosphère ou planter le décor d’un récit. Pour «Case à Chine», un livre narrant l’installation des Chinois en Martinique (un sujet qui me touche puisque ma grand mère était chinoise), mes pérégrinations au Japon et en Corée du Sud ont été précieuses. De même, n’ayant jamais posé les pieds au Liban ou en Syrie, mes aventures au Maghreb m’ont servi de décryptage religieux et culturel avant d’entamer l’écriture de «Rue des Syriens». À mon insu, mon esprit s’emplit de réminiscences et d’images qui resurgissent lorsque j’en ai besoin.

Votre meilleur souvenir de voyage ?

RC. Le plus intense remonte à ma visite de l’Alhambra en Andalousie. Palais enchanteurs, jardins luxuriants, tours majestueuses… je suis resté en contemplation, subjugué devant tant de magnificence. Au Japon, un endroit m’a pareillement émerveillé, une pagode taoïste singulièrement bien conservée malgré ses quatre siècles. Je m’apprêtais à en faire la réflexion au guide, lorsqu’il a ajouté « les occidentaux préservent leurs monuments pendant des siècles pour ensuite les restaurer. Nous, nous les détruisons tous les vingt ans et les reconstruisons à l’identique ». Après m’avoir sidéré, cette observation a réussi à m’interpeller. et peut-être les Japonais ont-ils raison puisqu’aucune différence tangible ne transparaît. D’ailleurs, les monuments sont reconstruits avec les matériaux récupérés et semblent parfaitement identiques, voire intacts dans l’esprit de ceux qui les contemplent. Une vision de la réalité qui ne s’apparente pas à une sorte de fétichisme du passé mais plutôt à un passé qui se reconstruit à l’infini.

alhambra andalousie

RC. Dans les bidonvilles d’Haïti, il y a longtemps, j’ai été secoué par une expérience traumatisante ! Alors qu’il m’était déjà difficile de supporter que des êtres essaient de survivre dans des conditions infra humaines, atrocement épouvantables, ce que j’y ai vécu reste horriblement douloureux. J’errais dans le quartier Bel Air – qui n’a de beau que le nom – lorsque mon regard a été attiré par une magnifique petite fille dans les bras d’une dame, sûrement sa maman. Afin de lui faire part de mon émerveillement, je me suis approché de cette femme et à peine avais-je achevé ma phrase qu’elle me plaquait l’enfant dans les bras en me criant «prenez-la» et de s’enfuir en courant. Hébété, je me suis retrouvé avec la petite, au milieu des gens qui me répétaient « blan pati épi y ! » (« pars avec l’enfant ! » en créole haïtien). L’état civil étant ce qu’il était à l’époque, les agents n’ont pu retrouver la mère, ils m’ont même appris plus tard que la petite fille avait dû être placée en orphelinat… Cette mésaventure a suscité une douleur profonde qui me touche encore aujourd’hui !

bibliograpgie rapahel confiant

bibliograpgie rapahel constant

Vous avez écrit «Seuls les voyages ont le pouvoir de se faire rencontrer les écrivains», en parlant d’Édouard Glissant. Vous étiez sérieux ?

RC. Oui, mes rencontres avec des écrivains se déroulent souvent à l’étranger. Dont celleci, cocasse, voilà une vingtaine d’années au Canada. À la faveur d’une conférence, un poète me lance « je suis professeur d’indépendance ! » Interloqué, j’ai voulu savoir ce qu’il entendait par là. Eh bien tous les soirs, dans les bars et les parcs, ce chantre de l’indépendance du Québec déclamait ses textes. Autre anecdote de voyage qui s’est déroulée en tout début de vol. Au hasard des pages de la revue de bord, je tombe sur un article présentant le dernier livre d’un romancier colombien, Alvaro Mutis, «Le Nègre et l’Amiral». Je n’en crois pas mes yeux ! Le même titre que mon propre livre, alors sur le point de sortir. Stupéfait, fébrile, je m’interroge : comment notre éditeur (commun) nous laisse publier sous le même titre ? Arrivé à Orly, avant de me précipiter chez l’éditeur, je jette un dernier coup d’œil sur la revue, et là, je lis «La Neige et l’Amiral». Bref, à cause de cette erreur de lecture, mon vol s’est avéré épouvantable jusqu’à la fin. Notez que je ne suis jamais très rassuré en avion… mais pas autant que Garcia Marquez qui paniquait lorsque, par le hublot, il constatait l’immobilité parfaite de l’avion en altitude, il ne supportait pas cette idée. Quant à moi, les statistiques m’apaisent. Savez-vous qu’aucun accident grave d’aviation civile ne s’est produit en 2017 ? Une première depuis que l’aviation civile existe !

À vos yeux, d’Ulysse, Thomas Pesquet, Tintin ou Christophe Colomb, qui est le plus grand voyageur ?

RC. Sans hésitation Thomas Pesquet ! Chaque soir, je me passe la vidéo d’un cours d’astrophysique dont je suis fanatique absolu. Cette branche de l’astronomie me passionne à tel point que je suis devenu incollable sur les exo-planètes, les étoiles à neutrons, les naines blanches… (rires). Mon père était prof de maths et, fort probablement par esprit de contradiction, j’ai suivi des études de sciences-po. Sans cette petite révolte paternelle, je me serais orienté vers la physique, une science fondamentale qui oblige à relativiser notre existence en tant que tout petit habitant de cette minuscule planète Terre.

Des billets pour la lune sont en vente, vous seriez tenté ?

RC. Oui, mais malheureusement, je ne suis pas encore lauréat du prix Nobel de littérature et les moyens me manquent (rires). Comme Maryse Condé vient de se voir décerner le Nobel alternatif de littérature, il faudra sûrement attendre des décennies avant de revoir un lauréat antillais francophone. Zut et re-zut, elle vient de nous griller tous ! (rires)

 

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