Cette semaine, Antilla 1468 publie ce qu’ont pensé deux de nos plus célèbre écrivains sur le suicide de Pierre-Just Marny.
Voici l’essentiel de la réflexion de Raphael Confiant :
“MARNY, LA PANTHERE NOIRE.
Le suicide du « plus vieux détenu de France », Pierre-Just Marny, est venu tout de même ternir__oh pas très longtemps !__cette euphorie « estivale ». Chacun s’est fendu d’un texte ou d’une déclaration s’indignant du sort réservé à la Panthère noire laquelle aurait « purgé sa peine » selon l’expression consacrée. Que Marny ait été une victime du système colonial en ce qu’il condamne les plus démunis à la délinquance pour pouvoir survivre ne fait aucun doute. C’était vrai à l’époque, il y a presque un demi-siècle donc, et c’est encore plus vrai de nos jours. La foultitude de petits voleurs, cambrioleurs, braqueurs et casseurs qui font la Une du quotidien local et le quotidien du Palais de Justice est la résultante d’une situation sans issue pour notre jeunesse. A tout moment parmi nos 30 ou 40.000 chômeurs, un nouveau Marny peut surgir et bien culotté sera celui qui osera lui jeter la pierre.
Au cour de son périple vengeur, le « dernier des guerrier Caraïbe », et non le Nègre marron, que fut Marny, avait atteint mortellement par balle un bébé de deux ans et demi. Hasard malheureux dont l’homme s’en voulut terriblement toute sa vie, ce qui le grandit. Marny était un être humain. Terriblement humain…Ceux qui lui ont refusé le pardon peuvent-ils en dire autant ?
CRIME NON PARDONNABLE.
Il y existe au moins un crime pour lequel son auteur ne peut jamais purger sa peine : celui d’un enfant. Et dans ce type de crime, je place aussi l’avortement non-thérapeutique. La raison ? Non pas parce qu’un enfant c’est joli, c’est mignon, c’est tendre, ça a toute la vie devant lui et bla-bla-bla. Loin de moi ce genre de nunucherie. Non pas pour des raisons morales, éthiques ou religieuses non plus. Les avorteurs et les assassins d’enfants sont condamnables à perpétuité pour une raison fort simple. Une raison très matérialiste même : peut-être que leur geste a empêché l’apparition d’un Euclide, d’un Einstein, d’un Diderot, d’un Kant, d’un Pasteur, d’un Mandela, d’un Césaire, d’un Mozart, d’un Ti Raoul, d’un Patrick St-Eloi, d’un Picasso, d’un Jean-Paul Sartre ou d’un Zidane.
Et quand je dis « a peut-être empêché », je suis dans l’euphémisme. La vérité c’est : « a empêché »…”
Et voici l’essentiel de la réflexion d’Ernest Pépin :
“Qui nous pardonnera ?
J’apprends avec tristesse la mort de Marny. Le plus vieux prisonnier de France ! Je dis que d’une certaine manière la société l’a assassiné en utilisant une arme redoutable : l’arme du temps !
C’est une vie gâchée derrière les barreaux dont les plus durs sont les barreaux de la conscience.
Combien de fois, sans doute, a-t’il ressassé sa jeunesse et les crimes qu’elle occasionna. Combien de fois, sans doute, a-t-il constaté qu’il a été victime des circonstances ! D’une sorte de folie sans folie qui nous emporte dans la spirale maladroite d’un comportement inapproprié.
Cela aussi c’est l’être humain, la pulsion de la colère, l’impulsion de l’aveuglement et ce surmoi qui éclate devant une supposée injustice.
Cela peut donner Césaire !
Cela peut donner Marny !
L’un n’est pas réductible à l’autre mais l’un et l’autre sont des faces de lumière et d’ombres d’un seul jaillissement qu’on appelle l’homme.
Toute jeunesse est une force d’ivresse. Seul le temps apprend l’humilité. Mais il arrive que l’humilité soit une souffrance insupportable. Elle l’était sans doute pour lui !
L’humilité, dans ces conditions là, où vivre c’est pourrir ou demain n’ouvre aucune porte sinon celle d’un pardon que personne n’accorde.
Il m’est impossible, ce disant, d’oublier les victimes. Elles furent aussi victimes des circonstances de tout ce qui entraîne une sociopathie. La Martinique, pour de multiples raisons, baignait dans sa folie. Folie de l’argent ! Folie de la vengeance ! Folie de la fuite en avant ! Folie même des solidarités ataviques !
Dans cette affaire mal élucidée, la frénésie a son mot à dire.
Je me souviens comment l’inconscient collectif « fabriquait » Marny à la manière d’un nègre marron revenu des hauteurs. Quelque part, nous l’avons incité à être ce nègre marron là qui n’a pas hésité à se baptiser « La panthère noire ».
L’époque était à Django contre Zorro. L’époque était aussi au Black Panther Party, aux résistances ouvertes ou larvées. A une sorte d’héroïsme insu, qui pouvait prendre aux tripes l’intellectuel comme le petit gars de nulle part. Marny a été une forme d’ignorance mêlée à l’air guerrier des temps. Une sorte d’innocence qui « joue » au « major ».
Je pleure ses victimes tapissées par l’ombre d’un autre temps.
Je le pleure aussi opposant à l’irréductibilité de son histoire l’irréductibilité confuse de son destin.
Il est mort ! Il aurait choisi de mourir ! Lui à qui on avait fait l’aumône inhumaine d’une petite sortie de fauve sans griffes. Il devait être puni ! Il méritait d’être puni ! Mais nous avons confondu la punition avec un décret divin donc immuable.
Ceux qui furent ses victimes, comme ceux qui lui offrirent une sorte de solidarité tardive. Ceux qui l’ont déchaîne, comme ceux qui l’ont enchaîne, doivent sentir peser l’ombre d’une Martinique qu’à sa manière, il incarnait.
Encore une fois l’histoire a rusé avec un homme, la religion a failli et la justice prétendument aveugle est passée à côté d’une forme humaine de sanction.
La peine de mort est abolie mais elle palpite encore au bout de la corde qui étrangla Marny. Nous éprouvons ce drame ! Il nous dérange ! Et nous n’avons que ces mots à jeter sur sa tombe. Il arrive qu’un coupable soit martyr. Cela s’appelle la loi du Talion !
Qui nous pardonnera ?
Ernest Pépin
écrivain