"Jik dèyè do Bondié" (1979), mon premier livre en créole

22/05/2022 - 13:37
Intro

   Vingt et un ans séparent les deux couvertures qui illustrent cet article : la première date, en effet, de 1979 ; la deuxième de l'an 2000. Ce sont celles de mon premier roman (et par ailleurs du premier livre que j'ai publié) écrit en créole, cela à une époque où, en Martinique, seuls Georges Gratiant, puis Georges Mauvois s'étaient aventurés sur cette terra incognita. G. Gratiant avait notamment publié le formidable Fab' Compè Zicaque (1950) tandis que G. Mauvois s'était illustré au théâtre avec Agénor Cacoul (1962), Man Chomil (1992) et des traductions en créole de pièces de l'Antiquité grecque comme Antigòn (1996). Il faut cependant noter qu'avant eux, le Béké (Blanc créole) François-Achille Marbot avait publié en 1846 : Fables de La Fontaine travesties en patois créole par un vieux commandeur.

Texte

   Mais aucun auteur martiniquais n'avait, avant Jik dèyè do Bondié (1979), publié de roman en créole, ce qui a fait de ce dernier le tout premier roman martiniquais en créole. Et le troisième du Monde créolophone après Atipa (1885) du mystérieux Guyanais Alfred Parépou et suivi, presqu'un siècle plus tard, par Dézafi (1975) de l'Haïtien Frankétienne. Cela s'explique par le fait que jusqu'à tout récemment le créole était une langue majoritairement orale, ce qui fait que les écrivains qui souhaitaient l'utiliser choisissaient fort logiquement les genres littéraires les plus proches de l'oralité à savoir la fable, le conte, la poésie et de théâtre.

   Le genre littéraire appelé "roman", lui, est assez éloigné de la langue orale, sauf pour les dialogues mais ces derniers ne constituent généralement qu'une assez faible partie du texte quand ils ne sont pas totalement absents de ce dernier. Le travail romanesque exige par conséquent que la langue utilisée ait déjà atteint une certaine maturité au niveau de l'écrit, ce que Jean Bernabé a appelé sa "souveraineté scripturale". Or, tel n'était pas encore le cas du créole quand j'ai rédigé, en 1979, "Jik dèyè do Bondyé". Aujourd'hui, nous avons fort heureusement un nombre non négligeable de romanciers créolophones tels que Térez Léotin, Romain Bellay, Hughes Bartelery, Jean-Marc Rosier, Georges-Henri Léotin etc..., auteurs qui continuent avec talent le travail d'édification d'une langue littéraire créole. 

   Quand j'ai publié Jik dèyè do Bondyé aucun éditeur martiniquais n'aurait été assez fou pour prendre le risque (financier) de publier un ouvrage dans une langue que presque personne ne savait lire à l'époque. En 1979, en effet, n'existaient ni Licence et Master de Créole au sein de notre université qui était encore l'UAG (Université des Antilles et de la Guyane), ni CAPES et Agrégation de créole et l'enseignement du créole était inexistant à l'école primaire et secondaire. Seuls quelques militants avaient créé un journal en créole cette même année-là, Grif An Tè, dont le directeur de publication était Serge Domi. J'avais fait partie de son comité de rédaction aux côtés de Térez Léotin, Serge Harpin, Claude Clairicia, Georges-Henri Léotin, Claude Larcher, Lucienne Chéri-Zécoté et quelques autres.

   J'ai donc été contraint d'y aller de ma poche c'est-à-dire de publier Jik dèyè do Bondyé à compte d'auteur. C'est l'imprimerie du journal Justice, hebdomadaire du Parti Communiste Martiniquais, qui a réalisé le travail, pour un coût assez modeste fort heureusement mais pour seulement 500 exemplaires. Mais le dits exemplaires (cf. couverture verte illustrant cet article) se sont accumulés chez moi au fil des années, mes parents et amis en achetant quelques-uns par charité chrétienne, je suppose, tandis que les librairies de Fort-de-France avaient tout simplement refusé de prendre l'ouvrage en dépôt-vente. De plus, même les plus fervents créolophiles trouvaient mon roman "difficile à lire" parce qu'il n'utilisait pas les codes habituels de l'écriture romanesque, notamment le récit ou l'intrigue chronologiquement développés. Aussi par que j'avais choisi d'écrire non pas en créole martiniquais mais dans un pan-créole c'est-à-dire dans une langue qui tire profit des richesses lexicales syntaxiques et rhétoriques de tous les créoles à base lexicale française des deux zones (américaine et océanindienne).

   Cet échec de Jik dèyè do Bondyé aurès du public ne m'a pas empêché de publier trois autres romans en créole par la suite (Bitako-a en 1985 ; Kod Yanm en 1986 et Marisosé en 1987) ainsi qu'un recueil de poèmes (Jou baré, en 1981). Cela sans obtenir plus de succès ! Or, rien n'est plus dur pour un auteur que de n'avoir pas de lecteurs. Après donc une décennie d'écriture en créole, je suis passé à l'écriture en français à partir de 1988 avec mon roman Le Nègre et l'Amiral (éditions Grasset) et si j'ai continué à écrire quelques poèmes et articles de presse en créole jusqu'à la date d'aujourd'hui, je n'ai rien publié au plan romanesque dans cette langue que nos anciens appellent joliment zépon natirel-nou (notre éperon naturel). Je me suis plutôt investi à l'Université, au sein du GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créole) dirigé par Jean Bernabé, dans les domaines de l'ethnolinguistique (Dictionnaire des titim et des sirandanes, 1998), la lexicographie  (Dictionnaire des néologismes créoles, 2001 Dictionnaire du créole martiniquais, 2007), la didactique du créole (La Version créole, 2001) et la traduction (Moun-Andéwò a, traduction de L'Etranger d'Albert Camus, Caraibéditions, 2012).

    Je n'avais donc pas du tout "abandonné le créole" comme m'en accusaient certaines personnes (dont on peut se demander soit dit en passant ce qu'elles ont jamais fait pour notre langue). Mais mes romans et recueils de poèmes n'avaient pas été réédités et étaient devenus introuvables. Le tout premier Jik dèyè do Bondyé, que pratiquement personne n'avait lu lors de sa parution en 1979, avait commencé à m'être réclamé à la fin des années 90. Or, je n'étais pas prêt à y aller à nouveau de ma poche après l'avoir fait pour mes 5 ouvrages en créole qui, bien évidemment, ne m'avaient pas rapporté un sou mais des dettes auprès de divers d'imprimeurs. 

    C'est alors qu'un éditeur français installé en Guyane, Jean-Louis Malherbe, lança une maison d'édition appelée Ibis Rouge. Ayant pris contact avec lui, en tant que responsable des publications du GEREC (c'est Ibis Rouge qui, entre autres, publia nos 11 Guides du Capes de créole), il me proposa de rééditer Jik dèyè do Bondyé, chose que j'acceptai volontiers. Cette fois-ci, je sortais du compte d'auteur pour entrer dans le compte d'éditeur, ce qui veut dire que les frais d'impression et de distribution de l'ouvrage ont été pris en charge par Ibis Rouge. Republié 21 ans plus tard, à un moment où le créole commençait à avoir le vent en poupe, en l'An 2000 donc, l'ouvrage connut un certain succès mais sans que ce dernier fût suffisant pour pouvoir me procurer des droits d'auteur. 

  Enfin, dans les années 2015, c'est un autre éditeur, le Franco-canadien Florent Charbonnier, directeur de Caraibéditions, qui prit avec brio le relais s'agissant de la republication de mes ouvrages en créole parus en 1979 et 1987 et des traductions d'auteurs français en créole, notamment Bitako-a, paru à compte d'auteur en 1985 et réédité chez Caraibéditions en 2018 soit 23 ans plus tard.

   Sinon, la deuxième édition de Jik dèyè do Bondyé (celle d'Ibis Rouge en 2000) est présentement en voie d'être épuisée. L'ouvrage est cependant trouvable à la Bibliothèque Schoelcher, à la Bibliothèque Universitaire du Campus de Schoelcher et aux Archives Départementales de la Martinique. Je ne désespère pas de lui donner une troisième vie. En attendant, voici un extrait du début du roman (avec la graphie actuelle du créole) :  

 

   " Mwen, kontè ki léta-mwen, man ka di kon sa : Tandé ! Tandé, manmay ! Mou ki pisimié pèdi flanman lavi-yo anba tout fifin pléré yo za pléré, man ka di zot li, lapenn pa von douvan tout lanmizè lajounen-yo ja wè, wouvè an vénéré ba yo, men, misié Lorimè, pas pa li !

      Man ka mandé pou mémwè-zot mété kò'y an zonbi pou i sa chayé listwè'y, listwè wotè konba'y, jik nan fondok les pri-zot ek ta ti-yich a zot (fok pa bouch-yo jen rété kpud). Kouté O ! "

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