Raphaël Confiant, chroniqueur infatigable de la comédie créole

Intro

Raphaël Confiant est une figure majeure de la littérature martiniquaise contemporaine. Avec une soixantaine d’ouvrages à son actif, cet auteur prolifique a renouvelé les lettres antillaises en renouant avec le substrat créole de l’identité caribéenne. Avant d’être l’auteur francophone internationalement reconnu, Confiant a publié plusieurs romans en créole.

Texte

« J'écris pour lutter contre le sentiment de l'absurdité de l'existence qui m'a étreint depuis mon plus jeune âge ». Cette profession de foi, elle est celle du Martiniquais Raphaël Confiant. Avec Maryse Condé et Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant constitue le trio incontournable des lettres antillaises contemporaines.

Venu à l’écriture dans les années 1980 avec son premier roman Le Nègre et l’Amiral qui faisait revivre la période de l’occupation dans une Martinique dominée par l’alliance des pétainistes et les békés les plus réactionnaires, l’homme a construit une œuvre riche et inventive, à mi-chemin entre histoire et fiction.

« Je suis incapable d’écrire un roman qui n’est pas adossé à l’histoire des Antilles, explique le romancier. Notre littérature est une littérature qui est contrainte par l’histoire parce que nous avons à reconquérir notre histoire. Nous ne pouvons pas ignorer que nous sommes les enfants d’une histoire tragique et que nous avons en quelque sorte l’obligation de tenir compte dans notre activité romanesque cette histoire tragique. C’est pour cela mes romans à moi explorent en priorité la mémoire populaire. »

Shakespeare et Chinua Achebe

Confiant est l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages dont des romans, des essais, des polars, de récits autobiographiques, des chroniques militantes, qui témoignent de la diversité de talents de cet auteur prolifique. Cette production témoigne aussi de la diversité des sources d’inspiration de Raphaël Confiant qui a fait des études de littérature anglophone. Il puise son miel autant dans Shakespeare et Chinua Achebe que dans les littératures francophones dont il a été nourri à l’école de la République.

Le romancier a souvent dit aussi sa dette envers les quimboiseurs conteurs et leur « parole de la nuit » qui ont structuré son imaginaire, lorsqu’il grandissait dans la maison de ses grands-parents, dans le Nord sauvage de l’île de la Martinique, au milieu des rhumeries et des usines de transformation de la canne à sucre. Ces usines ont fermé progressivement dans les années 1960, concurrencées par la culture de la betterave. Difficile de savoir si ce sentiment d’absurdité de l’existence qu’il évoque au début de cette chronique est né des drames des faillites industrielles au quotidien auxquels il a assisté à son enfance.

Toujours est-il que c’est cette histoire tragique de la Martinique disparue, riche de ses strates de populations dispersées que raconte Raphaël Confiant dans ses romans. C’est  un univers peuplé d’hommes et de femmes haut en couleur, surtout marqués du sceau de leurs origines. Ils sont béké, coolies, syro-libanais, mulâtres, châbins, câpres ou noirs. Ils témoignent de la prodigieuse diversité de la société caribéenne née de l’esclavage. Trois siècles de métissage forcé ou volontaire ont inter-mélangé les peuples et donné naissance à une culture créole, faite de bric et de broc, d’emmêlements de traditions et de croyances. C’est une culture mosaïque et complexe dont Raphaël Confiant raconte d’un livre à l’autre les hauts faits, mais aussi les aliénations et les démesures. Aussi, l’ambition la plus chère de cet auteur est de voir un jour ses ouvrages réunis sous le titre de « comédie créole ».

Une ambition quasi-balzacienne

« Alors , la comédie créole, c’est effectivement un clin d’œil à la «  Comédie humaine » de Balzac, reconnaît volontiers Confiant. Je veux représenter cette espèce de monde construit par le choc de plusieurs cultures, cette espèce de cacophonie culturelle qui est le monde créole. Il ne faut pas oublier que la mondialisation dont on parle aujourd’hui, la rencontre de toutes les cultures  du monde, elle s’est faite d’abord dans l’archipel des Antilles à partir du XVIe/XVIIe siècles. Nous avons une espèce de cacophonie culturelle qui a formé la culture antillaise. Mes livres cherchent à rendre compte de ce monde foisonnant. »

De cette comédie créole, Confiant nous livre un énième chapitre avec son nouveau roman, paru cet automne. Son titre : Du morne des Esses au Djebel, le dix-septième roman sous la plume de ce conteur hors pair. A travers les parcours ambigus de trois militaires antillais dans l’Algérie d’avant les indépendances, l’auteur explore ici les non-dits de l’histoire martiniquaise.

Le récit se déroule pendant la guerre d’Algérie, si brillamment analysée par Frantz Fanon, militant et intellectuel. Or le rôle de la Martinique dans cette guerre ne se réduit pas à la figure légendaire de Fanon. La mémoire collective a occulté la présence de cohortes de soldats antillais qui se sont retrouvés souvent à leur corps défendant dans l’enfer de cette guerre coloniale parmi sans doute les plus sanglantes du XXe siècle.

Au cœur de l’intrigue, le douloureux dilemme des militaires antillais, dont beaucoup étaient tiraillés entre leur devoir de soldat envers la mère-patrie et leur empathie pour les fellagas algériens dont ils se sentaient proches de par leur positionnement politique dans la configuration coloniale. La complexité de la situation dans laquelle se retrouvaient ces jeunes appelés, souvent de condition modeste, est soulignée dès la première page du roman. Le récit s’ouvre sur une scène horrifique de la guerre dans un village du hinterland où les soldats sont accueillis aux cris « des youyous terrifiants » par des femmes pudiques et voilées, mais  exhibant leurs «sexes poilus» pour accuser les soldats d’avoir massacré leurs hommes.

À travers ce roman sur lequel préside la personnalité tutélaire de Frantz Fanon, évoquée à travers ses œuvres que les protagonistes découvrent chemin faisant, se pose aussi la question complexe de l’identité antillaise. Une question qui traverse toute l’œuvre de Raphaël Confiant, et qu’incarne dans ce roman des soldats antillais déterritorialisés dans une Algérie si proche et lointaine. Ils sont prisonniers d’une histoire impérialiste dont ils ne comprennent pas nécessairement tous les enjeux.

Du Morne-des-Esses au Djebel, par Raphaël Confiant. Caraïbéditions, 424 pages, 21,30 euros.

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