Pierre COMBESCOT, auteur des "FILLES DU CALVAIRE", vient donc de décéder à l'âge de 77 ans. Je ne l'ai rencontré qu'une fois et une seule : lors du dîner organisé par les éditions Grasset dans un grand hôtel parisien lorsqu'il obtint le Prix Goncourt en 1991. Lui et moi étions les deux finalistes de ce prix cette année-là, moi avec "EAU DE CAFE", publié comme "LES FILLES DU CALVAIRE" aux éditions Grasset. Soit une année avant que Patrick CHAMOISEAU n'obtienne ce prix avec "TEXACO", en 1992 donc. Deux finalistes pour une même maison d'édition, ce n'était pas chose très courante et notre éditeur, le truculent Yves BERGER, à l'accent méridional, était aux anges. Le Goncourt est certes une formidable récompense pour un auteur, mais c'est aussi un jackpot pour une maison d'édition, chose importante dans un secteur économique fragile et à la rentabilité économique peu évidente. Or, en 1991, Grasset, quel que soit le gagnant du Prix Goncourt, COMBESCOT ou CONFIANT, était sûr et certain de l'avoir.
Je n'avais pas voulu venir à Paris d'autant que des rumeurs m'avaient laissé entendre que l'insulaire que j'étais n'avais aucune chance face au Germanopratin COMBESCOT, un COMBESCOT avait même ajouté quelqu'un pour qui "l'Afrique commence au sud de Paris". Bref, un type qui ne sort quasiment jamais de Paris et encore moins du Quartier latin et qui forcément fréquente et connaît tous les jurés des prix littéraires. Mais notre éditeur commun, Yves BERGER avait quasiment exigé que je vienne, les jeux n'étant absolument pas faits selon lui. J'ai donc cédé...
Le matin du grand jour, dans ma chambre d'hôtel, j'ouvre la radio et tombe comme par hasard sur une interview de...Pierre COMBESCOT sur France-Inter ou RTL (je ne m'en souviens plus exactement) :
— Bonjour, Pierre Combescot, ça va ce matin ?
— Heu...oui, ça peut aller.
— A quelques heures du Goncourt, vous vous sentez comment ?
— Heu...comment dire ?...heu...je me sent confiant. Voilà, c'est ça, confiant !
Il se sentait...CONFIANT, le bougre ! J'ai compris à ce moment-là que j'avais perdu et j'ai eu une réaction qui m'a surpris moi-même : j'ai éclaté de rire. J'ai alors décidé d'aller acheter son livre et j'ai commencé à le lire dans un café proche de mon hôtel. Dès les premières pages, j'ai été absolument soufflé : ce type était fort, très fort. Son bouquin, "LES FILLES DU CALVAIRE" était meilleur que le mien, "EAU DE CAFE". Cela m'a évidemment mis un peu de baume au cœur. A l'époque, je fumais des cigarillos Davidoff et j'ai dû finir la moitié d'un paquet au cours des deux heures qu'il m'avait fallu pour terminer le livre de COMBESCOT, force cafés noirs à l'appui évidemment.
Rentré à l'hôtel, je déjeune, l'œil rivé sur le poste de télé. Le portable n'existant pas à l'époque, c'est le seul moyen pour moi de savoir le résultat du prix. Et comme de fait, c'est COMBESCOT qui l'obtient au troisième ou quatrième tour. "EAU DE CAFE" a finalement bien résisté face aux "FILLES DU CALVAIRE". Dans ma chambre, je reçois un appel téléphonique d'Yves BERGER, notre éditeur, m'assurant de son soutien à l'avenir et m'invitant au dîner du soir en l'honneur du lauréat, chose que j'accepte. Normalement, j'ai horreur des réceptions, mais là, bien m'en a pris car le soir, non sans stupéfaction, je vois le président du jury du Prix Goncourt, aujourd'hui décédé, l'écrivain François NOURISSIER, s'approcher de ma table et me serrer chaleureusement les mains avant de me dire à voix basse :
— Je peux vous parler...
Nous mettons alors un peu à l'écart.
— Vous savez que je connais bien la Martinique ? commence NOURRISSIER.
— Ah bon ? Je l'ignorais.
— Oui, mon cher CONFIANT, j'ai épousé une Martiniquaise, figurez-vous, dont j'ai eu deux garçons....Au fait, vous savez pourquoi vous avez perdu face à COMBESCOT. Vos deux livres se valent...
— Non...
— Eh bien, nous avons reçu ceci...
Et François NOURRISIER de me tendre des photocopies d'articles publiés par moi dans le magazine ANTILLA à propos des Békés et d'Israël avec, écrit au feutre rouge sur les premiers, en gros caractères, "RACISTE ANTI-BLANC" et sur les seconds "ANTISEMITE". L'Internet, et donc le mail, n'existant pas encore à l'époque des gens de la Martinique (d'un certain parti politique de gauche très précisément) avaient découpé certains de mes articles dans ANTILLA, les avaient tronqués, recollés et les avaient postés à tous les membres du jury du Prix Goncourt !!! Avec ça, normalement j'étais mort et malgré ça, j'avais réussi d'abord à être sélectionné pour ce prix, puis à être finaliste et enfin à résister durant trois ou quatre tours face au gagnant. Cela, cette ignominie, me fit cent fois plus mal que de n'avoir pas obtenu le prix.
Revenu à ma table, je tombe sur COMBESCOT qui m'attend. Je trouve un homme simple, affable, quoique très introverti. Je le félicite et lui dit que j'ai beaucoup apprécié "LES FILLES DU CALVAIRE". Nous échangeons quelques mots amicaux, puis il ne regagne la table d'honneur. Autour de moi, il y a des écrivains et des journalistes que je ne connais guère que de nom, ne venant pas très souvent à Paris. En général, je m'enferme dans un silence prudent et me contente de sourire aux blagues, souvent trop fines pour mon esprit rural, qui volent par-dessus la table. Mais au bout d'un moment, un critique littéraire très bien informé, dont je tairai le nom, se penche vers moi et me dit :
— CONFIANT, vous avez perdu, mais c'est pas juste !
Je souris niaisement.
— C'est pas juste d'une part, parce que y'a des types de chez vous, là-bas, en Martinique qui vous ont démoli auprès du jury, mais en plus, vous avez été victime d'un autre truc...vous voulez savoir quoi ?
— Oui...
— L'Internationale des tantouses, mon vieux !
Et le critique de se redresser et de recommencer à bavarder le plus tranquillement du monde avec les autres convives pendant que moi, je cogitais à une vitesse folle, me demandant dans lequel de mes bouquins ou dans quel article d'ANTILLA j'avais bien pu critiquer les homosexuels. Je n'en trouvais aucun ! J'avais même cosigné quelques mois auparavant, à l'instigation du journaliste et écrivain Didier ERIBON et avec une trentaine d'autres écrivains, une tribune publiée dans le NOUVEL OB'S exigeant que les actes homophobes soient punis par la loi. Une vingtaine d'années donc avant la loi TAUBIRA ! Non, je n'avais jamais critiqué les homos et mieux, je les avais toujours défendus. Je finis par comprendre que cette fameuse "internationale" n'en avait pas voulu à moi, à ma petite personne en particulier. Elle avait simplement pesé de tout son poids pour que l'un des siens gagne le prix face à un hétérosexuel que ce dernier s'appelle CONFIANT ou TARTEMPION. Donc je n'avais aucune raison de leur en vouloir !
Par contre "les types de la Martinique qui m'ont démoli", dont certains sont encore vivants et encore actifs dans ce fameux parti politique de gauche sont de vrais FILS DE PUTE. Je ne m'en veux donc absolument pas de les avoir toujours combattus et de continuer à le faire avec la dernière énergie. Encore que "férocité" serait plus juste qu'"énergie". Ha-ha-ha !...
Allez, lecteur, oublie tout ça et procure-toi "LES FILLES DU CALVAIRE" ! C'est un super-bouquin. Hé zut, j'ai oublié de dire que cette même année-là, en 1991 donc, "EAU DE CAFE" a obtenu le Prix Novembre, surnommé "l'Anti-Goncourt" ou plutôt le prix décerné à un auteur qui aurait dû avoir obtenu le Goncourt...