Raphaël Confiant, écrivain prolifique et citoyen engagé

Intro

Raphaël Confiant est l’une des figures majeures de la littérature martiniquaise et caribéenne contemporaine. Auteur d’une soixantaine de livres, cet écrivain prolifique est également un citoyen particulièrement engagé sur les plans politique et associatif. Portrait.

Texte

Né dans la commune du Lorrain en Martinique en 1951, Raphaël Confiant est un écrivain viscéralement attaché à sa terre natale, dont il connaît l’histoire sur le bout des doigts, mais aussi les moindres recoins et anecdotes.

Cette connaissance intime et charnelle de son pays donne une saveur particulière à ses nombreux romans basés sur l’évolution de la Martinique au cours des siècles, comme par exemple sa célèbre trilogie sur la culture sucrière dans l’île - Commandeur du sucre, Régisseur du rhum et La Dissidence aux éditions Ecriture - ou plus récemment son ouvrage passionnant sur l’engagement des troupes antillaises lors de la Première Guerre mondiale : Le Bataillon créole (2013). Au total, l’auteur a écrit une soixantaine de livres, qui lui ont valu de nombreux prix littéraires et une reconnaissance internationale.

L’imaginaire et la culture créole fournissent par ailleurs toute leur force d’évocation aux textes du romancier antillais. Parfaitement bilingue créole-français, Raphaël Confiant, qui maîtrise également l’anglais et l’espagnol, est l’un des rares auteurs martiniquais à avoir une authentique expertise du créole. C’est dans cette langue, dont il est un farouche défenseur, qu’il a écrit ses premiers livres, qui ont été depuis traduits en français.

Il est l'auteur du premier roman en créole, Jik dèyè do Bondyé en 1979, traduit sous le titre La lessive du diable chez Ecriture, et du tout premier Dictionnaire du créole martiniquais-français en deux volumes publié en 2007. Il a également traduit L'Etranger d'Albert Camus en créole sous le titre de Moun-Andéwò a. Outre son activité d’écrivain, Raphaël Confiant est aussi professeur à l'Université des Antilles où il enseigne la littérature créolophone orale et écrite ainsi que la traductologie.

« Il y a dans mon œuvre une volonté de reconquête et de réécriture de l'histoire de la Martinique tout autant que de valorisation de la langue et de la culture créoles », souligne l’écrivain, interrogé par rfi.fr. Raphaël Confiant est par ailleurs le fondateur et l’un des principaux animateurs du site Internet « Montray Kréyol » un portail d’informations généralistes et culturels en créole et en français créé en 2007 et portant sur la Martinique, les Caraïbes et les autres pays créolophones comme les Seychelles ou l’Île Maurice.

Engagement écologiste

Afin de mieux appréhender l’infatigable auteur, il faut savoir aussi que son parcours en littérature a toujours été d’une certaine manière lié à ses engagements politiques et citoyens en Martinique. Bien qu’il relativise : « Je me suis toujours employé à maintenir une certaine distance entre mon militantisme politique et écologique d'une part et mon activité d'écrivain de l'autre », explique-t-il. C’est l’une des facettes du romancier que l’on connaît le moins dans l’Hexagone ou à l’étranger.

Ainsi, depuis plus d'une trentaine d'années, Raphaël Confiant est particulièrement actif au sein du mouvement écologiste martiniquais. Dans les années 1980, il a participé à la plus importante association de défense de l'environnement de son île, l'ASSAUPAMAR (Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais), qui lutte contre la destruction des terres agricoles et pour la protection des mangroves et des zones naturelles. Il a été également durant cinq ans vice-président du parti écologiste et souverainiste MODEMAS (Mouvement des démocrates et écologistes pour une Martinique souveraine).

Actuellement, Raphaël Confiant est membre du bureau politique du parti Martinique-Ecologie, présidé par le conseiller exécutif de la collectivité territoriale de Martinique Louis Boutrin, avec lequel le romancier a écrit en 2007 un brûlot intitulé Chronique d'un empoisonnement annoncé : le scandale du chlordécone aux Antilles françaises (1972-2002), aux éditions L’Harmattan.

« Je suis favorable à la souveraineté de la Martinique, mais je n'ai jamais été membre du Mouvement indépendantiste martiniquais [MIM], précise Raphaël Confiant. Toutefois, mon parti, Martinique-Ecologie appartient à la coalition menée par le MIM, rassemblant indépendantistes, autonomistes et écologistes qui, en décembre 2015, a gagné les toutes premières élections territoriales organisées en Martinique, en battant le PPM [Parti progressiste martiniquais] créé par feu Aimé Césaire en 1958 ».

L’insurrection de l’âme, une autobiographie de Frantz Fanon imaginée par Raphaël Confiant

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Après être tombée en désuétude en France, l’œuvre du psychiatre et essayiste engagé Frantz Fanon (1925 – 1961) semble de nouveau intéresser les universitaires tout comme le grand public. Ce médecin martiniquais, inhumé en Algérie, qui fut cadre et compagnon de route du Front de libération nationale (FLN) pendant la lutte pour l’indépendance, est l’auteur, entre autres, de deux ouvrages qui ont marqué toute une génération de militants anticolonialistes, Peau noire, masques blancs et Les Damnés de la terre.

Son itinéraire intellectuel et son parcours de vie atypique ne pouvaient que passionner le romancier Raphaël Confiant, qui lui-même a vécu et travaillé en Algérie à la fin des années 1970, vivant la révolution et l’internationalisme algériens de l’intérieur. Dans L’insurrection de l’âme, Frantz Fanon, vie et mort du guerrier-silex (Caraïbéditions), Raphaël Confiant revient sur la trajectoire et les écrits du psychiatre martiniquais pour imaginer une autobiographie qui aurait été écrite par Fanon lui-même.

Un pari difficile que l’écrivain a relevé brillamment, où l’on découvre la complexité et les combats intérieurs du médecin-militant tiers-mondiste, dédié corps et âme à son combat pour la libération de sa patrie d’adoption, l’Algérie, et plus généralement à celle de l’Afrique tout entière.

Commentaires

Quelques précisions

Frédéric C.

Mardi 31 mai 2022 - 20:22

 

Il était difficile de tout dire dans un article si dense. Pourtant il est deux « détails » importants sur lesquels il convient d’insister.

1°) Raphaël Confiant n’est pas qu’un «défenseur de la langue créole» : c’est un des promoteurs de la langue parlée et écrite selon les modalités les plus modernes. En l'espèce, son travail commence il y a plus plus de 40 ans, et continue. Il fut parmi les 1ers promoteurs du créole écrit sous une graphie codifiée de telle sorte qu’elle soit d’emblée démarquée du français (graphie purement phonétique, par opposition à la graphie étymologique), dans le GEREC. Activité implicitement nationaliste (puisque Gilbert Gratiant voulut lui aussi élaborer une graphie du créole, mais plutôt étymologique). Il fut l’un des 1ers écrivains martiniquais à écrire selon cette graphie phonétique, et Il osa le faire dans un environnement hostile, un pays et une période où très peu de gens s’y aventuraient, où c’était très mal vu y compris à gauche. Dans un «segment» précis », idéologiquement, c’était une petite révolution. Je me réfère là, non à ce que RC en dit, mais à ce que j’ai personnellement constaté dès les 70’s. Il fut un des animateurs du GEREC (dirigé par J.Bernabé) et du journal Grif An Tè.

Certes, des travaux avaient déjà commencé chez les linguistes haïtiens et seychellois. Mais les «Antilles-Guyane françaises» vivaient alors sous un régime d’ASSIMILATIONNISME CULTUREL forcené (assimilationnisme «culturel» par opposition à «assimilationnisme institutionnel» : ce n’est pas exactement la même chose...). Les Mquais de 55 ans et moins n’imaginent pas ce que c’était ! Le pouvoir central pratiquait cet assimilationnisme culturel et l’encourageait à fond avec une virtuosité laminante : 1)au journal TV d’Etat avant 1981, silence complet sur l’actualité locale et caribéenne (sauf pour dénigrer l’endogène), au profit exclusif de la vie en «métropole» (ah ! magnifique exposition des canards sauvages dans les marais de la Pouècre !) ; 2)silence complet sur les cultures antillaises et guyanaise, surtout populaires, ou alors dénigrement systématique; dévalorisation en bosse ou « en creux » de la langue maternelle des Martiniquais, le créole étant systématiquement dénigré, la langue et la culture française étant sur-valorisées. 3)La presse écrite du groupe Hersant, qui tenait le seul quotidien à grand tirage, allait dans le même sens. 4)Dans les établissements scolaires : idem ! Et voilà que des petits jeunes sortant d’on ne sait où se permettaient de codifier une «graphie» de ce «patois/baragouin» vernaculaire pour en faire un machin «endogène», comme ils auraient dit, avec des «k» et des «w» et des «ÿ» à tire-larigot, auxquels personne ne comprenait rien puisque que tout le monde avait été alphabétisé en français.... Hé oui, ils avaient osé !... De plus Grif An Tè était un journal de vulgarisation, non élitiste. Ses articles expliquaient le fonctionnement de la langue et de la graphie, de telle sorte que même un adolescent puisse comprendre (j’en fus). Cela allait à contrecourant de tout... Sur le fond, ce journal étaient d’inspiration nationaliste-maoïste (replaçons nous dans le contexte internaional d’alors), ce qui gênait beaucoup les partis anticolonialistes «classiques». Depuis la disparition du Gerec, avec d’autres, Confiant continue de lutter dans ce domaine, contribuant à actualiser, luttant contre la francisation de cette langue

Concernant MONTRAY KREYOL :

L’auteur de l’article écrit :«Montray Kréyol» un portail d’informations généralistes et culturels en créole et en français créé en 2007 et portant sur la Martinique, les Caraïbes et les autres pays créolophones comme les Seychelles ou l’Île Maurice.

Navré, mais MK c’est beaucoup plus que çà. Il suffit d’y regarder de près pour constater que nombre d’articles concernent l’Europe (pas seulement la France), le Proche-Orient, l’Asie, les Amériques du Nord et du sud, les pays micro-insulaires de toute la planète. De plus, ce n’est pas seulement «un portail d’informations généralistes et culturels», mais aussi un journal «d’opinions», au pluriel. MK publie des articles avec lesquels RC n’est pas forcément d’accord, ce qui fait de MK un organe de presse pluraliste. Ce qui est doit être souligné dans un pays où règne en maître le tonton-macoutisme idéologique, fût-il de « gôôôche » ou d’exrême-gauche ou nationaliste...

Par ailleurs, l’engagement politique anticolonialiste de R.Confiant est quasiment constant depuis quasiment 45 ans en continu. Il a pu ajuster certaines perspectives, dédogmatiser l’approche. Mais il est toujours là. Cela semble anodin, mais tellement de sa génération sont passés à la vie active et ont lâché l’affaire que cela doit être souligné. D’autant que certains, toujours militants et  ayant des convergences avec lui refusent de soutenir telle de ses initiatives le méritant (j’y reviendrai). Il n’est pas un « électoraliste » ni un dogmatique, en tout cas il accepte d’être contredit dans le journal en ligne qu’il publie. Dans un pays où la maladie infantile et sénile du politique est l’électoralisme, lui ne cherche pas à être élu à un poste, même s’il a figuré sur quelque liste et a été Vice-Pdt d’une organisation. En revanche il a continué sa démarche de recherche, d’approfondissement des problématiques décelées dans sa jeunesse, dénonçant les situations voire les comportements politiques lui paraissant contradictoires avec les objectifs affichés.

Un intellectuel qui ne laisse personne en paix. Cela en emmerde beaucoup, y compris dans les chapelles idéologiques dogmatiques. Car l’homme n’a pas sa langue ni sa prose dans sa poche : il dit publiquement les choses même si çà doit déplaire. Exemples : dénonciation (après d'autres auxquels il rend hommage) du scandale du chlordécone, par deux ouvrages écrits à 4 mains (avec Louis Boutrin) en 2007 ; dénonciation du comportement politique de ses compatriotes le 10/1/2010 ; dénonciation de la corruption, qui aboutira à la liquidation Judiciaire de MK suite à attaque en justice d’universitaires révoqués par l’EN pour avoir détourné des centaines de milliers de fonds européens. Et précisément, quand des nuages judiciaires se sont accumulés sur MK face à ses attaques, une Association des Amis de Montray Kréyòl s’est constituée. MK publiait depuis longtemps les journaux d’organisations politiques ou associatives, et leurs communiqués, gratuitement, ce qui leur donnait une visibilité capitale. Des noms ? « Justice » (PCM), « Jikanbout » (CNCP-Jikanbout), « Patriyòt » (PKLS). Et MK manifesta un soutien critique au GranSanblé (constitué des MIM, CNCP-APAL, PCM, RDM, PALIMA, Patriotes non alignés) et au Gran Sanblé pou Ba Péyi-a an Chans, à partir de 2015. Il le fit par conviction militante, « pour la cause ». Eh bien très très peu de dirigeants de ces organisations adhérèrent à l’AAMK, pour soutenir MK face au tribunaux.  Or ils savaient ! Mais quasiment tous (sauf chez les écologistes de l’Assaupamar) ont fait montre d’une indifférence scandaleuse ! Alors que dans un pays comme la Martinique (moins de 400.000 hab.) tout se sait. Le plus scandaleux dans l’affaire, c’est que ces orgas s’affichent ostensiblement comme décoloniales. Mais en l’espèce, elles se sont détournées d’une instance et d’un militant avec qui elles ont en principe des convergences solides, qui les avaient aidéeS à être plus visibles et les avaient soutenues..

Pourquoi? Esprit de chapelle ? Peut-être, mais pas seulement. Confiant est réputé aussi pour avoir « son petit caractère » ou, comme il le dit lui-même, « un vieux caractère de vieux chabin ». Cela pèse... Mais quand même quand même, cela excuse-t-il les lâcheurs ?... à moins qu’il y ait « trahison », normalement un véritable patriote devrait s’asseoir sur son subjectivisme, et ne privilégier que les convergences pour faire avancer « la cause », ne voir que la cause commune, pour la faire avancer (au détriment des « humeurs »). La Martinique est un drôle de pays : beaucoup de gens sensés lutter pour une cause commune font leurs petites affaires chacun dans leur coin... Ainsi va la vie. L’histoire jugera !

Malgré ces embûches, amertumes et désillusions, R.Confiant continue de se battre, en relatant des événements politiques, en ironisant sur les non-événements, en faisant rire le lectorat.. Y en-a-t-il beaucoup qui peuvent en dire autant ?

 

 

 

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