"La muse ténébreuse de Charles Baudelaire" passe en Folio

06/09/2023 - 18:42
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   La plupart des lecteurs ne le savent pas ou l'oublient : quand un livre grand format ou "broché" est publié, si jamais l'année d'après ou en tout cas dans les deux ans qui suivent, il ne passe pas en format "Poche", il sera oublié car il aura disparu des rayons des librairies. On ne le trouvera plus qu'en bibliothèque et comme les bibliothèques sont de plus en plus remplacées par des médiathèques dans lesquelles l'accent n'est plus mis sur le livre-papier, autant dire que ledit livre est mort. 

Texte

   Sa seule planche de salut est par conséquent le livre de poche au format plus réduit et au prix de vente plus abordable pour le grand public et surtout les jeunes. On comprend dès lors pourquoi les ouvrages d'éminents écrivains martiniquais et guadeloupéens sont devenus invisibles : Clément Richer, Xavier Orville, César Pulvar, Marie-Magdeleine Carbet, Vincent Placoly et tant d'autres. C'est pourquoi il faut tirer un coup de chapeau à Caraibéditions qui a créé une collection "Poche" permettant à la fois à ses auteurs à lui de continuer à exister mais aussi republiant des ouvrages d'auteurs tombés dans l'oubli. 

   Si, pour ma part, j'ai la chance d'avoir bon nombre de mes livres republiés en poche chez FOLIO (Gallimard), au LIVRE DE POCHE et chez Caraibéditions, j'ai toujours un petit pincement au coeur de voir que certains d'entre eux sur lesquels j'avais beaucoup travaillé et qui me sont chers, ne plus être disponibles. C'est qu'un écrivain est un peu comme un père ou une mère de famille : il ou elle a forcément tel ou tel enfant que, secrètement, il ou elle préfère le plus. Mais ni lui ni elle ne l'avoueront et c'est pourquoi je ne nommerai pas ceux de mes livres auxquels je tiens le plus.

   Mon roman, La Muse ténébreuse de Charles Baudelaire, paru au Mercure de France, vient donc d'être republié en poche chez FOLIO. J'en profite pour dire qu'hormis Raphaël Tardon (l'auteur du formidable La Caldeira évoquant la destruction de Saint-Pierre par la montagne Pelée en 1902) et Roland Brival, il y a peu d'écrivains antillais qui ne se soumettent pas à cette espèce de fatwa non-dite qui exige qu'un livre écrit par un Antillais doive se dérouler aux Antilles ou au moins comporter des personnages antillais. Je me suis longtemps astreint à respecter cette "loi" laquelle découle de la non-autonomie du champ littéraire antillais pour employer une expression bourdieusienne. Qui découle aussi de notre histoire tragique, chose qui nous interdit d'écrire des romans d'amour ou de science-fiction alors que, techniquement parlant, nous sommes tout à fait capables de le faire. Comme nous sommes aussi capables d'écrire des livres qui ne se passent pas aux Antilles et ne comportent pas de personnages antillais. Cette non-assignation à résidence est même la marque de ces littératures libres ou autonomes que sont celles d'Europe, d'Amérique du Nord, du Japon, de Chine, de l'Inde ou d'Amérique du Sud.   

   La muse ténébreuse de Charles Baudelaire a essentiellement pour cadre la ville de Paris que je connais assez peu, où je n'ai jamais vécu, et si, grâce à son personnage principal, Jeanne Duval, la Mulâtresse qui fut, quinze années durant, la maitresse de Baudelaire, et dont l'identité est obscure, je fais quelques incursions en Haïti à l'île Maurice et à celle de la Réunion (pays dont il est possible qu'elle soit native), il n'en demeure pas moins que j'ai avancé en terrain peu connu. En effet, passer une semaine ou dix jours dans une ville, certes assez fréquemment et cela pendant des années, comme Paris, ce qui fut et est toujours mon cas, ne fait pas de vous un grand connaisseur de celle-ci. D'autant que mon roman se déroule en plus dans la première moitié du 19è siècle. C'est ici qu'intervient la documentation. Sauf qu'un écrivain n'est ni un historien ni un ethnologue ni un anthropologue ni un sociologue ni un politologue et que s'il doit utiliser leurs travaux, il doit également veiller à ne pas être submergé par eux. J'avoue avoir abandonné en cours de route certains romans pour lesquels je ne parvenais pas à me défaire d'une trop abondante et pesante documentation. Ce sont en quelque sorte des enfants mort-nés et tout écrivain éprouve forcément une sourde mélancolie à leur endroit. Leurs sépultures sont mes tiroirs car je les ai imprimés, l'Internet étant une machine peu fiable. Bientôt, on n'éditera plus les passionnantes relations épistolaires entre écrivains car de nos jours, plus personne n'écrit de lettres. Or, les mail ou courriels ne se conservent pas. 

   Dans La Muse ténébreuse de Charles Baudelaire un seul des principaux personnages est originaire des Antilles ou des Mascareignes, Jeanne Duval. Tous les autres sont forcément des Parisiens ou des Français habitant Paris. Se mettre dans leur tête (je n'ose pas dire leur peau) n'a pas été très facile, habitué que je suis depuis des décennies à mettre en scène des personnages antillais. Au lecteur de voir si ce défi a été relevé !...

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