C'est l'exploit réalisé en ce début du mois de décembre par deux hommes : Florent CHARBONNIER, fondateur en 2007 de Caraibéditions (depuis bientôt 17 ans donc) et Gilles JACQUES, propriétaire de la librairie Le Papyrus à Grand-Bourg de Marie-Galante.
Il importe tout d'abord de savoir que ce natif de la Belle Province (le Québec) qu'est F. Charbonnier édite les plus grandes plumes guadeloupéennes, cela tant en français qu'en créole : Ernest Pépin, Hector Poullet, Simone Schwarz-Bart, Gisèle Pineau, Max Rippon, Daniel Maximin, Errol Nuissier, Jacques Bangou, Steve Gadet, Esther-Sarah Bulle, Doris Dumabin, Isabelle Kancel, Roland Monpierre, Patrice Tacita et bien d'autres. Et cela dans quasiment tous les genres littéraires : poésie, théâtre, roman, essai, bandes dessinées etc... Beaucoup d'entre ces auteurs et autrices ont déjà été édités (es) par de grandes maisons d'éditions parisiennes telles que Gallimard, Le Seuil, Mercure de France, Ecriture etc... et n'ont pourtant pas hésité à confier certains de leurs textes à un éditeur dit "local" ou antillais. Encore que Caraibéditions et son fondateur déploient des efforts remarquables pour que les livres qu'ils éditent ne restent pas confinés au microcosme antillais mais soit aussi connus sur le marché hexagonal et international !
Ici, se pose la question du Livre dans nos territoires insulaires où deux écueils doivent être surmontés : d'abord, le fait que les Antillais, hormis une petite élite cultivée, lisent assez peu ; ensuite, l'étroitesse du marché insulaire. Pour les surmonter, il aurait fallu que nos pouvoirs locaux mettent en place une véritable "Politique du Livre" qui permettrait de soutenir tous nos éditeurs quels qu'ils soient, sans discrimination aucune. C'est que l'édition est un métier difficile, à la rentabilité aléatoire, ce qui explique la disparition de certaines maisons d'édition antillaises au cours des trois dernières décennies. Sans même parler de la fermeture en cascade des librairies ! Rien qu'à Fort-de-France, quatre ont fermé définitivement leurs portes (notamment l'emblématique Librairie Alexandre) et il n'en demeure plus qu'une seule. Cela dans une ville de... 90.000 habitants ! Nous aimons souvent nous référer à l'Hexagone dans toutes sortes de domaines et à exiger que ce qui s'y déroule soit identique des deux côtés de l'Atlantique, sauf que du côté hexagonal, aucune ville aussi peuplée que Fort-de-France ne dispose d'une seule librairie !
Cela ne dérange apparemment personne et pourtant nos décideurs aiment à se draper dans la renommée de nos grands auteurs et à attribuer à des écoles, des bibliothèques, des médiathèques ou des aéroports leurs prestigieux patronymes. Cela relève d'une certaine forme de forfaiture car à quoi bon, par exemple, donner le nom de Vincent Placoly à un collège si les livres de ce dernier sont introuvables ? Il faudrait donc que nos pouvoirs locaux créent un "Fond de réédition" pour nos ouvrages emblématiques, chose qui coûterait beaucoup moins cher que de subventionner nos équipes de football qui vont affronter leurs alter ego de la Caraïbe, le concert de tel rappeur célèbre ou bien le Tour des Yoles de la Martinique. Et quand on dit "réédition", cela ne concernerait pas la seule littérature comme on se l'imagine trop souvent mais aussi les ouvrages d'histoire, d'athropologie, de sociologie, de psychologie, d'économie, de sciences de la nature etc... Car si le romancier Placoly est introuvable en librairie, il en va de même de Jean Benoist, fondateur de l'anthropologie des sociétés créoles, du linguiste Jean Bernabé, des sociologues Serge Domi et Louis-Félix Ozier-Lafontaine etc...
Tout un capital intellectuel inutilisé qui pourtant nous permettrait de déchiffrer nos réalités compliquées et d'éviter de sombrer dans des approximations hâtives ou même des délires !
Pour en revenir au Salon du Livre de Marie-Galante organisé par Caraibéditions pas moins de 25 auteurs guadeloupéens, martiniquais, hexagonaux, haïtiens et même un Luxembourgeois ont été réunis pendant une journée entière (le dimanche 7 décembre) sur la place qui fait face à la jolie église de Grand-Bourg, le chef-lieu de Marie-Galante. Auteurs et autrices qui ont eu l'occasion de rencontrer non seulement le public marie-galantais mais aussi du "continent" (la Guadeloupe) venu tout spécialement pour l'occasion ainsi que des Martiniquais et des "Métros" installés dans nos îles. Ce Salon du Livre de Marie-Galante, qui en est à sa 2è édition, a bénéficié cette fois de l'appui bienvenu de la municipalité de Grand-Bourg et de sa mairesse, le Dr. Maryse Etzol. Aux côtés des Guadeloupéens H. Poullet, G. Pineau ou encore M. Rippon, des auteurs martiniquais tels que R. Confiant, L. Léry, N. Cage etc... ont pu dédicacer leurs derniers ouvrages dans une athmosphère bon enfant aux côtés de la Française Céline Malraux (petite-fille d'André Malraux) et du Luxembourgeois Gaston Zangerlé.
Pour ma part, j'ai eu le plaisir de faire une conférence sur mon livre Grand-Z'Ongle, le Maitre de l'Invisible (Caraibéditons) à la Bibliothèque de Grand-Bourg qui a attiré, à ma grande surprise, un public plus nombreux que mes présentations habituelles (rares il est vrai) en Martinique. En l'espace d'une journée donc, grâce à Caraibéditions, le livre est sorti de la semi-clandestinité qui est la sienne dans nos îles où nous aimons tant vanter Guy Tirolien, Maryse Condé, Simone Schwarz-Bart, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Joseph Zobel ou encore Edouard Glissant sans pour autant les lire vraiment.
Un petit appel pour terminer adressé à nos auteurs qui ont la chance d'être publiés par de grandes maisons d'édition parisiennes : n'hésitez pas à confier certains de vos manuscrits à nos éditeurs locaux, Caraibéditions ou les autres ! C'est la seule et unique façon de parvenir un jour à créer ce que Pierre Bourdieu appellait "un champ littéraire autonome".
NB. Outre les auteurs et autrices guadeloupéens, martiniquais et français, Caraibéditions oublie également des Guyanais (René Jadfard, Ketty Bunch, Bérékia Yergeau), des Haïtiens (Lyonel Trouillot, Philomé Robert, Ketly Mars, Faubert Bolivar, Dimitri Elias Léger, Nékémy-Pierre Dahomey, Niklovens Fransaint), des Luxembourgeois (Gaston Zangerlé), des Réunionnais (Axel Gauvin, Jean-François Samlong), des Mauriciens (Catherine Boudet) et des Congolais (Serge Diantantu, Alain Mabialah).